Nous sommes le 25 juillet et l’été bat son plein, rythmé par les glaces et les baignades rafraichissantes. Mais ce 25 juillet, c’est aussi un jour particulier pour la Coopérative des Halles, puisque demain, Nelly effectuera sa dernière permanence derrière le comptoir avant son départ à la retraite. Ce départ est l’occasion de revenir sur l’histoire de la Coopérative, avec celle qui a été l’un des principaux piliers de ce projet, âgé de maintenant douze ans. C’est donc à la Coopérative que je retrouve Nelly, qui revient tout juste d’un séjour à la montagne. Pantalon vert-pomme et chemisette bleue en lin, elle nous sert de grands verres d’eau dans des tasses aux imprimés fleuris. En fond, un CD de Barbara tourne sur la mythique chaîne stéréo installée derrière le comptoir. Apaisée par cette ambiance un peu hors du temps, je m’assieds sur un tabouret et sors mon calpin et mon stylo.
Lopin bleu et opération cornichon
« La Coopérative des Halles, c’est une toute vieille histoire, qui commence avec une association », répond Nelly lorsque je lui demande de me parler des origines du magasin. « Au début des années 2000, avec des membres de l’association de quartier de la Rue de la Côte, nous nous interrogions sur nos modes de consommation globalisés. Alors, nous avons décidé de fonder une association appelée ‘le Lopin bleu’, dont l’objectif serait de proposer des paniers contenant des produits régionaux », poursuit-elle. Ce projet d’agriculture contractuelle de proximité fut une manière de créer du lien entre un petit groupe de producteurs et de consommateurs neuchâtelois : « Une trentaine de personnes se sont rassemblées suite au courrier des lecteurs rédigé par un des copains de l’association. Cela a permis à des gens d’horizons différents de se rencontrer » explique Nelly.
Le lien entre production et consommation avait été recréé. Mais ce qui posa véritablement les jalons de cette collaboration fut d’une toute autre nature : « Ce qui nous a beaucoup lié, c’est l’opération cornichons ! » me lance joyeusement Nelly, alors qu’elle s’apprête à peser la salade d’un client.
Visiblement amusée par le souvenir de cette mystérieuse ‘opération’, notre épicière raconte : « Nous avions décidé de mener une action coup de poing pour alerter sur le fait que nos cornichons venaient majoritairement d’Inde. On voulait montrer qu’on pouvait très bien en cultiver ici, alors on en avait semé et planté chez quelques producteurs partie prenante du projet. » Aussi bon enfant soit elle, cette action a permis d’atteindre ses objectifs en matière de conscientisation, tout en resserrant les liens entre les membres de cette désormais fine équipe : « Le résultat au niveau des bocaux était raté : on était complètement débordés par tous ces cornichons qui grandissaient beaucoup trop vite ! Mais d’un point de vue médiatique et de sensibilisation, ça a été un vrai succès ! » se rappelle Nelly.
Du lopin au magasin
Pendant ce temps, le Lopin bleu avait essaimé, mais arrivait gentiment au bout de sa course : « Le panier est mort de sa belle mort », résume Nelly. En parralèle, l’idée d’ouvrir un magasin germait dans les esprits de nos acolytes : « Avec Jean-Bernard, on se disait toujours que ce serait chouette de faire un magasin en ville. » C’est alors que Jean-Bernard Steudler, président de bio-Neuchâtel à l’époque, se fit écho de la fermeture du magasin bio installé à la Place des Halles 13. Ni une ni deux, après un appel aux membres de bio-Neuchâtel et deux rencontres à peine, une association se forma afin de faire de ce lieu la future ‘Coopérative des Halles’.
« On a monté le magasin comme on pouvait, avec ce qu’il y avait sur place et presque sans aucun investissement. Au début c’était un peu rock &roll, car sans la vitrine frigorifique, les légumes tournaient vite de l’œil » se souvient Nelly. De fil en aiguille, la boutique prit forme. Partie à deux, l’équipe compte aujourd’hui une petite dizaine de vendeuses et vendeurs. Côté producteurs, il y a bien eu quelques départ et quelques arrivés, mais l’équipe de base est globalement restée inchangée. Et au milieu de ces changements, un élément est resté central : « Depuis le début, on a souhaité que les produits vendus correspondent à un prix juste. Chez nous, ce sont donc les producteurs eux-mêmes qui donnent leur prix. », déclare Nelly.
Une épicière engagée
Vous l’aurez compris, derrière le projet de la Coopérative des Halles, il y a des convictions, des valeurs et des âmes engagées pour une nourriture saine et au prix juste. Pour Nelly, cet amour pour les gens et les bons produits lui vient de l’enfance : « Quand j’étais petite, j’avais dit que je voulais être épicière. Mais la conseillère en orientation m’en avait dissuadé, sous prétexte que j’avais ‘des capacités’ ». Un premier élan coupé court mais qui ne l’a pas empêché de réaliser son rêve : « Ce que j’aime surtout c’est le contact avec les clients, les collègues et les producteurs. » Pour elle, les valeurs et l’énergie portées par ce petit monde sont de profondes sources de motivation : « Travailler avec des gens engagés pour une cause, c’est motivant. Vendre des produits qui sont éthiquement justes est essentiel pour moi. Je ne pourrais pas vendre des pulls Lacoste, par exemple », illustre notre épicière en riant. Mais la boutique se caractérise aussi par la cohabitation bienveillante d’avis divergeants : « Respect à la Coopérative des Halles, car même si nous avons des idées politiques très variées, il n’y a pas de conflit entre nous », appuie Nelly.
Un départ plein de sérénité
« Aujourd’hui, c’est mon avant dernier jour à la Coopérative des Halles. J’aurai passé des années magnifiques. C’était du bonheur de venir travailler. » Ce départ, Nelly le fait avec sérénité et sentiment du devoir accompli : « C’est sûr qu’il y a un petit pincement. Mais j’ai fait mon job, je transmets un magasin en bonne santé et je suis certaine que les suivants sauront en prendre bien soin. » S’il ne fallait retenir qu’une seule chose de cette grande et belle histoire, c’est peut-être que nos rêves finissent toujours par nous rattraper : « Aujourd’hui j’aimerais bien retourner voir la conseillère en orientation et lui dire que voilà, j’ai fini par le devenir, épicière », conclut-elle dans un sourire.
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