10h08 – Mon train me dépose en gare de Travers, où j’ai rendez-vous avez Philippe Roth. En cette matinée d’octobre pluvieuse, il m’a gentiment proposé de venir me chercher. Rejoindre le Mont-de-Travers à pied par ce temps n’était manifestement pas la meilleure des idées…

L’homme aux abeilles débarque, poigne franche et sourire aux lèvres. Présentations faites, nous nous enfonçons dans la forêt de Travers pour rejoindre l’ancienne école, que Philippe et son épouse ont rénové il y a quelques années pour en faire leur petit cocon familial.

Assise à la table de la pièce à vivre, j’essaie de me replonger dans l’ambiance de cette ancienne salle de classe : par ici les bureaux des élèves, ici l’institutrice… Soudain, à l’emplacement du tableau noir, apparaît le visage de Philippe : « Tisane, thé, café ? ». Je sors de mes rêveries – « Volontiers un thé vert ! »

Changer de vie

Passionné par le plein air depuis tout petit, cela fait maintenant 20 ans que Philippe travaille avec les abeilles. Durant des années, il s’est occupé de ses ruches à côté de ses activités professionnelles, jusqu’à ce qu’il réalise que ce train de vie ne lui convenait plus : « A 50 ans, je n’avais plus l’énergie de vivre deux vies en parallèle. Je me suis dit que si j’avais encore un rêve, il fallait le réaliser maintenant », explique l’infirmier et pédagogue de formation.

Le départ de ses enfants fut le facteur déclencheur de ce changement de cap : « Quand nos enfants sont partis, on a décidé de revoir nos vies ». Un saut dans le vide qu’il a fait de pair avec son épouse, Sylvie. En 2020, le couple décide donc de quitter leurs emplois respectifs et de se consacrer désormais pleinement aux abeilles ainsi qu’à la tenue d’une chambre d’hôte, aménagée à l’étage.

« Thérapie apicole »

Je m’attendais à rencontrer un producteur de miel. C’est finalement un homme passionné par le monde, la nature et le vivre ensemble qui s’est présenté à moi. En effet, quand je lui demande combien de ruches il possède, il me répond que cela importe peu. Alors oui, il s’attèle à garder une soixantaine de colonies en santé, mais ce n’est manifestement pas dans le but premier de récolter la royale substance : « Mon kiff, c’est pas le miel », glisse-t-il à ma grande surprise. « Moi ce qui me fascine, c’est l’environnement et les relations – le lien à soi, aux autres, à la nature », confie-t-il.

La couleur est donnée. Plus le temps passe, plus je découvre les multiples facettes de ce personnage, qui œuvre à mobiliser ses connaissances d’apiculteur afin d’en faire des moyens d’éducation à l’environnement et de développement personnel. Ses années d’expériences dans le monde merveilleux des abeilles lui permettent en effet d’utiliser aujourd’hui ses concepts et ses images pour en faire une thérapie : « Comme les abeilles, il faut respecter ses cycles de vie. Si en ce moment je n’arrive pas à voler, ce n’est pas grave. Je peux être utile au collectif de plein d’autres façons », illustre-t-il.

C’est ainsi que Philippe Roth s’est retrouvé à organiser quantité d’activités en plein air avec des enfants, des adultes, des personnes souffrant de problèmes d’alcool ou encore de santé mentale. Il les prend sous son aile pour leur faire découvrir la nature et ses merveilles : « Si on ouvre directement les ruches, on confronte les gens à leurs peurs. En leur montrant d’abord les plantes et les insectes, cela leur permet d’apprivoiser l’environnement en douceur. » Car en effet, la rencontre avec les abeilles nécessite temps, confiance et sérénité : « Quand on ouvre les ruches, c’est des milliers d’abeilles qui nous volent autours. C’est un excellent exercice de maîtrise de soi », souligne Philippe.

Dans cette reconversion professionnelle, l’apiculteur s’est également lancé dans des projets de recherche en lien avec les abeilles. Sa fascination pour leur organisation n’a visiblement de cesse d’aiguiser sa curiosité : « L’apiculture, c’est une fenêtre sur un monde. On connait déjà de nombreuses choses, mais il en reste encore beaucoup à découvrir », s’enthousiasme-t-il.

Des miels raffinés

Parmi ces nombreuses activités apico-sociales, Philippe Roth alloue tout de même une partie considérable de son temps à l’élevage des abeilles et la production de miel : « Les abeilles rythment ma vie. En été, c’est du lever au coucher du soleil. C’est passionnant ! », sourit-il. Ainsi, avec ses ruches localisées sur et aux alentours de la Montagne de Travers, il produit trois types de miels – un de printemps, un d’été et un de forêt – le tout labellisé BioSuisse. Et chez « L’apiculteur », c’est l’ensemble des étapes de production qui est faite « maison » : « Quand on habitait aux Ponts, on faisait tout dans la cuisine. C’était terrible, car ça collait partout ! », se souvient son épouse Sylvie en riant. Aujourd’hui, l’extraction et la mise en bocal se font donc dans un local dédié, sous leur appartement du Mont-de-Travers.

Pour Philippe, la qualité nutritionnelle et gustative de ses miels est primordiale : « Ça, c’est du nectar pur ! », précise-t-il en s’emparant d’un pot. « Tous les miels sortent liquides, puis cristallisent selon leur temporalité propre », explique-t-il. C’est donc un savoir-faire fin qu’il a développé pour obtenir des consistances, des parfums et des saveurs idéales. Il accorde une importance toute particulière à ce que son miel de forêt soit vendu liquide et onctueux, et que ses miels de printemps et d’été soient parfaitement crémeux et non pas « durs comme du béton ». Pour goûter ces petites pépites, en pot de 250 g, 500 g ou même 1 kg, rendez-vous dans les étagères de la Coopératives des Halles.